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Retour sur la Journée nationale cohésion sociale et numérique

La Direction générale de la cohésion sociale (DGCS), l’Agence du Numérique et l’UNCCAS organisaient le 16 mai une journée nationale « Cohésion sociale et numérique », dans les locaux du Ministère des Solidarités et de la Santé. Près de 250 acteurs (collectivités, associations, institutions…) étaient présents.

 

Une introduction sur les enjeux croisés du numérique et de la cohésion sociale

En introduction, le Directeur Général de la Cohésion sociale, Jean-Philippe Vinquant, a rappelé les enjeux de l’inclusion numérique, qui ont constitué le fil rouge de cette journée : rendre plus effectif l’accès aux droits, résoudre des problématiques pour les publics et les professionnels, et traiter des usages permis par les nouvelles technologies. En ce sens, l’inclusion numérique est une priorité pour les acteurs, notamment territoriaux qui sont en charge de mener les politiques sociales.

L’écart entre volonté et mise en œuvre peut être assez grand car il n’est pas possible de faire des erreurs qui exposeraient les personnes à des risques quant à la protection de la vie privée, une dématérialisation mal conçue,… Le pendant de la promotion des usages est d’accentuer la fracture numérique. Pour que le numérique soit au service des personnes, il faut avoir un usage proportionné du numérique pour l’accès aux droits.

Il existe une marge de progression dans l’utilisation des téléservices : ils permettent de réduire les coûts de transaction pour contacter les personnes, cela a été expérimenté dans le cadre d’une SISIAO pour des demandes d’hébergement d’urgence. La possibilité d’innover à coût moindre doit se faire au service des personnes en explorant le potentiel de meilleure utilisation.

Les publics et bénéficiaires à prendre en compte ont des caractéristiques spécifiques : vulnérablité, forte mobilité,… Cela engendre des problématiques complexes qui nécessitent de la coordination entre les institutions : l’insertion sociale et professionnelle ne peut pas se faire sans sécuriser le logement. Les outils d’aide sociale, numériques ou pas, servent à stabiliser une personne et l’accompagner dans son projet de vie.

Le numérique permet de concentrer la ressource humaine du travail social : les personnes qui n’ont pas besoin d’un entretien avec un agent peuvent rapidement ouvrir leurs droits à la CAF par exemple. Bien entendu, cela n’empêche pas de devoir mener une réflexion, comme le fait le Haut Conseil du Travail Social, sur la dimension éthique de la gestion d’informations à caractère sensible par les travailleurs sociaux.

Ainsi la stratégie numérique rejoint les travaux sur la pauvreté, et le travail social et doit relever les défis du numérique dans les politiques de cohésion sociale.

Les résultats de l’enquête Capacity : un éclairage sur l’impact du numérique sur le capital social, culturel et économique des individus

Jacques-François Marchandise, délégué général de la FING et coordinateur du projet Capacity, et Margot Beauchamps, chercheuse au sein de Laboratoire M@rsouin (IMT Bretagne) étaient venus présenter les résultats du projet ANR Capacity (2015-2018) qui explore les opportunités qu’ouvre le numérique en termes d’empowerment. Nous avions réalisé une vidéo à ce sujet.

La question de recherche est le fruit des ambivalences du numérique : dans les années 1980, les acteurs sociaux aidaient déjà des personnes à faire des CV sur Word pour leur recherche d’emploi. Est-ce que le numérique renforce les inégalités ou augmente l’égalité des chances, facilite l’accès aux droits ou pas, … ?

Quelques remarques préliminaires ont été faites avant la présentation des résultats de Capacity.

La terminologie « fracture numérique » est très courante mais il faut l’utiliser avec précaution : elle recouvre le taux de pénétration des équipements mais ne dit rien sur les réalités d’usages. Elle est également stigmatisante pour les gens qui seraient « en retard ». Or, le numérique génère du désarroi, un sentiment d’être dépassé chez des publics très variés. Les réalités des usages peuvent être très différentes et paradoxales : des pratiques très évoluées chez des personnes en grande précarité et l’inverse est aussi vrai. Il faut donc changer de vocabulaire et se préoccuper d’abord d’inclusion plutôt que de diffusion du numérique, qui est une politique palliative. De plus, la massification ne signifie pas des usages heureux et maîtrisés.

Le numérique amène par ailleurs des recouvrements entre acteurs de l’économie sociale et solidaire et le travail social : les échanges sont parfois très riches et parfois amène des recouvrements entre leurs activités. Nous sommes également confronté des imaginaires très forts or les gens se construisent par rapport à des injonctions sociales fortes : la volonté de faire des jeunes de quartiers des codeurs, le matériel déclassé pour des gens démunis renforce le sentiment d’exclusion.

Le projet Capacity a permis de mener des enquêtes qualitatives et une enquête nationale quantitative. Des pratiques actives ont été recensées, notamment des pratiques amateurs très riches, liées à la cuisine, au bricolage, … Les champs du handicap sont éclairants car très dynamiques sur l’appropriation des usages et des outils. Les usages des migrants sont également très inspirants.

L’enquête nationale a été menée auprès de 2000 personnes résidant en France métropolitaine, en face à face. Les résultats permettent de conforter mais aussi d’infirmer certaines intuitions.

Tout d’abord, internet permet deux types d’apprentissage : l’un formel (MOOC, formations à distance, e-learning,…) et l’autre informel (tutoriels, forums, blogs,…). Le premier concerne 15% des internautes, plus diplômés, plus jeunes et plus aisés que la moyenne donc l’effet d’internet est plutôt le renforcement des inégalités au plan du capital culturel. Toutefois, 45% des internautes disent qu’internet leur a donné l’opportunité de se former, et 6/10 acquièrent des savoir-faire dans le cadre d’apprentissage informel (mais concernent toujours les plus diplômés).

Au sujet de l’enrichissement des sociabilités, 55% des internautes répondent qu’internet ne leur a pas donné d’ouverture, mais un tiers a répondu « Un peu » et 10% « Beaucoup ». Il faut noter la corrélation entre le niveau de revenu faible et les personnes qui répondent qu’internet leur a permis de s’ouvrir à d’autres personnes. Dans ce cas, internet peut potentiellement être un élément de correction des inégalités de capital social, supposant toutefois des dispositions sociales et un minimum de compétences numériques.

Internet permet-il de faire des économies ou de gagner un peu d’argent ? Les résultats de Capacity montrent que les plus aisés déclarent davantage que les autres qu’internet leur a permis d’augmenter leur pouvoir d’achat.

Quant aux non-internautes, ce sont en moyenne des personnes plus âgées, moins diplômées, et avec des revenus plus faibles. Interrogés sur leur non-utilisation d’internet, la plupart déclare qu’ils n’y ont pas d’intérêt, et dans une moindre proportion qu’ils ne savent pas comment s’y prendre. Largement en tête des raisons pour lesquelles internet faciliterait les choses arrivent les démarches administratives. Mais seuls 25% de non-internautes se sont déjà trouvé dans la situation de devoir utiliser internet. 2/3 se déclarent plus heureux sans internet et 1/3 éprouve de la fierté à ne pas l’utiliser. 1/10 a honte ; ce sentiment est davantage éprouvé par les plus diplômés et les plus jeunes.

Eléments d’analyse et pistes d’action

Les effets de la dématérialisation des services publics sur le travail social sont multiples : transformation des métiers de l’intervention sociale notamment vers l’accompagnement au numérique des usagers, et apparition d’un enjeu de détection des besoins d’accompagnement au numérique. Certains travailleurs sociaux ressentent un report du travail de l’Etat vers eux.

Internet génère des réalités sociales complexes : lorsque les usages sont socialisés, internet est plutôt positif, les personnes les plus isolées sont les plus malheureuses.

Tous les travaux de recherche disent que le concept de digital natives n’est absolument pas robuste. L’accès aux droits est une catégorie d’usages spécifique que les étudiants maîtrisent mal et ceux qui ne font pas d’étude d’autant moins.

Il est essentiel de distinguer les questions d’accès et d’usages et d’articuler médiation et self service. Une offre purement numérique est clivante et bloquante pour les gens qui n’ont pas appris et ne maîtrisent pas les codes.

Beaucoup de piste restent à explorer sur un numérique capacitant : sur l’illétrisme, sur les publics en situation de précarité et sans domicile fixe. Il existe plusieurs conditions élémentaires pour que le numérique soit capacitant : l’estime de soi, la socialisation, l’apprentissage (apprendre à apprendre)

Si l’on considère que les politiques numériques sont une question de culture et pas d’empilement de compétences alors nous sommes sur la bonne voie. Les pratiques socialisées, notamment l’apprentissage et les représentations sont essentielles et cela va à l’encontre d’une approche individualiste d’empowerment. De même, l’action sur le numérique est trop souvent ponctuelle alors qu’il s’agit d’un temps long : parcours des personnes, mise en capacité des médiateurs,…

Le numérique peut aussi redonner une capacité citoyenne aux personnes handicapées. La maîtrise des outils passe par des dynamiques collectives mais aussi par une personnalisation de l’accompagnement pour l’appropriation. Le pré-rapport de comporte pas de disposition en ce sens.

Un point d’attention à ajouter est la conception des objets pour une sobriété car le numérique comporte des risques et des charges : dépendance, courant électrique, réparation, abonnement, …

L’expérimentation de coffre-forts numériques avec les CCAS  : quelques enseignements sur les usages et les besoins des usagers

L’expérimentation était présentée par Sarah Lecouffe, responsable politiques de lutte contre les exclusions à l’ UNCCAS  et David Soubriesous-directeur des professions sociales de l’emploi et des territoires à la DGCS.

L’expérimentation des coffres-forts numériques ciblait les publics qui utilisent le moins le numérique : quels sont les usages qu’en font ces différents publics (types d’usages, fréquence, difficultés rencontrées,…) ? Comment cela fait évoluer les relations d’accompagnement social ? En quoi est-ce une porte d’entrée pour une stratégie numérique globale, ouvrant à d’autres usages ?

Il existe deux modèles de coffre forts : les généralistes (ouverture d’un compte autonome, un seul espace personnel, disponible depuis différents appareils), et spécialisés (ouvert via une structure, espace personnel et espace partagé avec des partenaires type CCAS).

La DGCS, UNCCAS, 16 CCAS (sur 12 territoires), 5 offreurs de solutions ont participé à l’expérimentation.

Le bilan de cette expérimentation fait état d’un outil utile mais aux usages restreints. Si le coffre-fort numérique correspond bien à certains besoins et usages il reste perfectionnable. Sur la durée de l’expérimentation, on a compté en moyenne deux connexions par coffre-fort, cinq documents par coffre, avec des écarts très importants d’un usager à l’autre. Les principaux usages sont :

– La conservation de documents

– La réalisation de démarches

Le coffre-fort est utile pour toutes les personnes qui risquent d’égarer leurs documents (travailleurs précaires, jeunes, SDF, …). Le coffre-fort est universellement utile. Les conditions pour qu’il soit appropriable sont à prendre en compte : l’accessibilité, l’ouverture de compte facile, adapté à plusieurs supports, écriture facile à lire et à comprendre, existence de traductions.

Le fait de pouvoir déposer un document de manières variés pourrait favoriser les usages (récupération automatique, prendre des photos, …).

Les principaux freins à l’utilisation sont l’accès à l’internet et une acculturation au numérique tous deux nécessaires.

Quelques clés pour une meilleure application : plus le public est accompagné, plus il est réceptif et plus il s’approprie l’outil. L’utilisation doit même être accompagnée au quotidien, donc les personnes accompagnantes doivent être mobilisées.

Au total sept recommandations sont formulées autour de trois grands thèmes :

  • Améliorer les lieux d’accueil du public en donnant accès à des équipements informatiques au sein des institutions et associations dans lesquelles le coffre-fort numérique peut être utilisé :
  • Promouvoir l’interopérabilité entre les coffres-forts numériques et les espaces personnels dématérialisés des organismes de Sécurité sociale :
  • Mettre en place un label « Coffre-fort numérique solidaire » :
  • Sécuriser le statut des personnes qui accompagnent celles qui sont en situation de précarité lors de l’ouverture et de l’utilisation du coffre-fort numérique :
  • Financer des formations sur l’accompagnement à l’usage du numérique des personnes en situation de précarité :
  • Financer et soutenir les structures accompagnant les personnes en situation de précarité à l’usage du numérique :
  • Dresser des perspectives nationales durables en matière d’inclusion numérique pour favoriser le déploiement des coffres-forts numériques

Table-ronde

Animation : Benoît Landau, chef de projet innovation publique et réseaux, la Direction interministérielle à la transformation publique

Intervenants : Joëlle Martinaux, présidente de l’UNCCAS, Antoine Darodes, directeur de l’agence du numérique, Olivier Noblecourt, délégué interministériel à la prévention et à la lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes

Joëlle Martinaux : Réunir cohésion sociale et numérique est une opportunité pour aller chercher les publics qui n’ont pas l’habitude et pas les moyens d’accéder au numérique (SDF, familles, séniors) et une opportunité pour les travailleurs sociaux de changer de mentalité vis-à-vis de ces outils.

Antoine Darodes : La cohésion est essentielle pour qu’il n’y ait pas 2 numériques et éviter les fractures territoriales. Le numérique est nécessaire pour l’accès aux droits et c’est aussi une opportunité économique si le plus grand nombre est à l’aise avec.

L’Etat peut définir une stratégie d’inclusion numérique mais pour le mettre en œuvre dans les territoires, cela doit passer par les acteurs locaux. L’enjeu est de reconquérir la confiance, largement remise en cause aujourd’hui.

Olivier Noblecourt : les publics vulnérables sont en défiance par rapport aux services sociaux, et il existe une stratégie d’évitement renforcée par la complexité des outils numériques. Il y a un changement du regard sur la pauvreté parce qu’on a individualisé la responsabilité de la pauvreté. Le numérique peut être un élément aggravant : plus de complexité, logique de peurs, de défiance, et sentiment que ce sont toujours les mêmes qui perdent. Il y a donc des enjeux sur la prévention, le travail social et l’accès aux droits.

L’amélioration des systèmes d’information peuvent servir l’accès aux droits en automatisant l’accès, les renouvellements, … Aujourd’hui des systèmes d’information développés pour lutter contre la fraude servent aujourd’hui à réduire le non-recours aux droits. La DGCS a une réflexion sur la transformation du travail social et des gains de productivité possibles grâce au numérique sur la délivrance de prestation.

Comment ne pas oublier le numérique quand on parle de cohésion sociale et ne pas oublier la cohésion sociale quand on parle de numérique ?

Joëlle Martinaux : le numérique doit être totalement adapté à l’usager, favoriser l’information, et rendre les démarches administratives accessibles. Le CCAS est souvent la première porte d’accès pour les publics dans les territoires ruraux ou les territoires urbains clivés : l’outil numérique permet l’accès à un réseau partagé.

Antoine Darodes : dans les actions d’acculturation au numérique, il y a un risque de voir deux acculturations distinctes : des ordinateurs des années 90 dans les lieux de médiation sur lesquels on fait un CV sur word et de l’autre côté les fab labs. Il faut que ces mondes se croisent et ne pas créer des lieux spécifiques pour les pauvres. Il faut des lieux de partage, des visions qui se croisent.

Dans les collectivités, il y a de bonnes pratiques mais pas suffisamment de mutualisation des bonnes idées et des bons outils, il faut trouver comment faire en sorte que les bonnes pratiques soient copiées ailleurs.

Olivier Noblecourt : Il faut

– toujours veiller à associer les personnes concernées à la conception, au pilotage, à l’évaluation pour percevoir les angles morts et les impensés. C’est un garde-fou à avoir tout le temps.

– travailler avec les acteurs économiques car il va y avoir des innovations de rupture. Des réseaux associatifs se sont engagés sur ces sujets : cloud solidaire, … il faut que les acteurs sociaux ne se défient pas et acceptent la méthode d’expérimentation dans un cadre éthique et opérationnel. Il faut des périodes de tâtonnement pour tester les solutions.

– être très concret dans les objectifs : il y a de forts enjeux sur la petite enfance, sur les familles qui ont besoin d’information sur leurs droits aux aides,… le numérique peut être un levier puissant. Pôle emploi et les acteurs sociaux peuvent construire un accompagnement centré sur les freins qui empêche de se concevoir comme employable par des MOOC par exemple. Le numérique a un potentiel inouï pour réinventer les modèles d’accompagnement.

– sur les métiers et les lieux d’intervention sociale : le numérique peut être un espace déculpabilisant, dans lequel on entre la tête haute. Il est possible de travailler sur deux aspects : l’accueil numérique et le lieu de vie sociale.

Comment on accompagne au mieux ceux qui sont en situation de risque ?

Joëlle Martinaux : L’une des préoccupations est de repérer les publics et mieux connaître les usages pour que le numérique soit adapté. La lutte contre la pauvreté passe aussi par un apprentissage au « bon numérique » : se documenter, chercher l’information, apprendre avec le numérique.

Antoine Darodes : l’offre doit être lisible, sexy, rassurante, réfléchir à une identité visuelle mieux identifiée, que les lieux donnent envie d’y aller et soient rassurants.

Olivier Noblecourt : il y a un vrai sujet de design, pour que le numérique public soit le moins anxiogène possible et cela ne marchera que s’il y a de l’humain. Pour les travailleurs sociaux, il faut repenser la fonction d’accueil dans les services publics et les services sociaux. Si l’usager a le sentiment d’avoir été mal accueilli, il ne revient pas.

Emmaüs connect a acquis du savoir-faire et transfère de la compétence. Il faut ouvrir la porte à de nouveaux métiers et faire une place à des personnes qui n’ont pas accès à la nomenclature actuelle. Borloo parle d’une « armée de la république » ; il fait référence au grand nombre de travailleurs sociaux sur les territoires.

Ateliers

L’après-midi a été consacrée à cinq ateliers, qui ont permis une approche très concrète des débats du matin, grâce à l’intervention de professionnels du terrain.

  • Mettre en place un coffre-fort numérique : pourquoi et comment ?
  • Les articulations ente médiation numérique et travail social pour un meilleur service aux personnes
  • Le numérique : quelles ressources pour les jeunes vulnérables ?
  • Comment élaborer et mettre en place une staratégie d’inclusion numérique sur son territoire ?
  • Présentation et enrichissement des outils produits dans le cadre de la stratégie nationale pour un numérique inclusif.

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